Nicolas MILTEAU
N°95 ⎜Avril 2004 ⎜5 €
De la période “littéraire” liée aux grands voyages,jusqu’au recueillement dernier dans les coeur du Japon, en passant par l’incontournable entreprise militante, Chris Marker développe “cette Marker’s touch [qui] doit certainnement beaucoup au fait que le cinéaste a l’audace et l’honnêteté de sa subjectivité”. A travers ses différents “film-essais” qui abordent toujours de quelque façon la question de l’altérité – que l’autre soit le pays (souvent lointain), l’animal, l’ami ou l’anonyme -, Marker apporte un témoignage qui tend à l’universel et à l’imtemporel et donne au monde une profondeur où l’espoir laisse place à l’angoisse, où l’avenir s’annonce plus sombre qu’un passé pourtant douloureux. Sur les traces du moujik qui part à la recherche du bonheur dans le film éponyme d’Alexandre Medvedkine, le cinéaste a construit une oeuvre cinématographique continuellement contrainte par le souvenir du passé, l’ambivalence du présent et l’angoisse du futur. Au croisement de tous les temps, au rapprochement de tous les lieux, l’une des forces remarquables de Marker est dans sa capacité à mesurer, et non pas à réduire, la distance qui existe entre la réalité et sa représentation. Tout comme François Reichenbach s’est demandé en 1966 : “mais que serait le cinéma sans Chris Marker ?”, nous pourrions nous interroger aujourd’hui sur ce que serait notre vision du monde sans cette oeuvre immense et trop souvent méconnue. Tout en proposant les bases d’une utopie, d’un combat dont le mouvement est chose intérieur, qui part du coeur, Marker pose sur l’humanité un regard où la tendresse, la compréhension l’emportent toujours sur la sécheresse des idées du jugement.